
Et si nous avions besoin des artistes pour rendre visibles les fantômes de nos technologies ?

Une vidéo de l’expo symbolise à merveille cette ambivalence de la technologie, autant magique que potentiellement hantée : Light Painting WiFi, signée par Timo Arnall, Jørn Knutsen et Einar Sneve Martinussen. Comme le résume le catalogue de Extra fantômes : “Avec une simple baguette de bois connectant un microcontrôleur Arduino, un module Wi-Fi et 80 LED, les designers ont mis au point un instrument de mesure pour renseigner l’intensité des signaux Wi-Fi. A l’aide de cet équipement, ils se sont déplacés la nuit dans la ville et ont documenté leur parcours par des photographies au temps d’exposition long qui laissent apparaître les ondes Wi-Fi sous la forme d’un graphique linéaire et lumineux. Le dispositif rend compte de la variation d’intensité des ondes à la manière de la barre indicatrice du signal sur nos appareils mobile.” Les artistes rendent visible l’invisible, comme ils l’ont d’ailleurs fait dans d’autres vidéos de leur série Immaterials, avec les puces RFID (Ghost in the Field) ou les signaux GPS (Satellites lamps). Jamais ils ne jugent, assumant tout autant leur fascination que leur inquiétude, leur amour que leur désamour de notre nouveau monde digital. Et il en résulte un film trouble, mais magnifique, rythmé par une musique de belle electronica comme trouée de bugs plutôt harmonieux.
Immaterials: Light painting WiFi from Timo on Vimeo.
L’un des artistes, Timo Arnall, explique très clairement sa démarche, ni technophobe ni technophile, mais techno-critique : “En tant que designers, nous pouvons révéler ce qui se cache derrière ces technologies dîtes lisses (seamless en anglais) que nous utilisons tous les jours. En faisant cela, nous donnons les moyens à d’autres de questionner, de critiquer, d’imaginer et de reproduire. Nous sommes de plus en plus cernés par des systèmes techniques au travers desquels nous produisons notre société et notre culture : il paraît alarmant d’en connaître si peu le fonctionnement. Rendre visible la matière de l’infrastructure technologique est le premier pas pour mieux la comprendre. Ce que nous ne voyons pas, nous ne pouvons l’évaluer de manière critique.”
Les artistes et designers de l’exposition Extra fantômes ne sont pas extérieurs au monde digital. Ils jouent et se jouent de lui. Ce sont, eux aussi, des magiciens de cet univers, poètes de l’interaction comme Scenocosme ou philosophes du visible et de l’invisible tels Timo Arnall et ses deux compères. Et ces magiciens-là, justement, semblent le parfait antidote aux sorciers du numérique : à ces Dark Vador qui adoptent le sourire et la tenue blanche de Merlin l’Enchanteur pour mieux nous inciter à avaler leur e-soupe.
Sous ce regard, quand avec Street Ghosts l’artiste italien Paolo Cirio extirpe de Google Street View des silhouettes de passants pour en tirer des répliques en poster et les coller à l’endroit même de la photo du moteur de recherche, il répond à ce Dark Vador qu’est Eric Schmidt, président exécutif de Google. Schmidt qui, il y a un, expliquait qu’Internet était “voué à disparaître” pour permettre à Google de nous chouchouter partout et sans cesse à l’insu de notre plein gré, pour notre confort et notre sécurité. Aux sorciers du marketing technologique qui veulent notre Bien malgré nous, j’avoue préférer les artistes, poètes ou critiques, qui rendent visible l’invisible… Et parfois, à l’inverse, créent des fantômes à partir de technologies ô combien matérielles.
Les commentaires
Pour réagir à cet article, je me connecte Je m’inscrisOui, j'adore cette vidéo "Light Painting WiFI", et c'est bien pourquoi, une fois n'est pas coutume, nous l'avons intégrée à l'article...
Magnifique ce mélange artistique et technologique.