
Des « Artistes & Robots » qui font réfléchir à notre âge numérique

Un écran blanc moucheté d’insectes virtuels noirs, devant lequel une personne s’approche… Les mouches se regroupent rapidement, dessinant son portrait. Quand le spectateur s’en va, la caméra reliée à l’écran ne reçoit plus de données utiles à leur activité, alors les mouches reprennent leurs positions « aléatoires » sur l’écran, et le portrait disparaît. L’interactivité entre le spectateur et l’œuvre est tout à fait manifeste dans cette création de 2015, Portrait on the Fly, de Christa Sommerer et Laurent Mignonneau. Comme les autres propositions artistiques de cette exposition, elle interroge notre monde contemporain et la direction vers laquelle il évolue, par le biais de machines à créer ou créatives de plus en plus sophistiquées, nées pour l’instant de l’imagination humaine, mais pourquoi pas dans un futur pas si lointain de l’imagination d’autres machines...
Laurent Migonneau & Christa Sommerer - Portrait on the fly from Galerie Charlot on Vimeo.
Code et existence
Si cette œuvre incite à réfléchir sur l’usage du selfie aujourd’hui, et plus généralement sur l’ego, elle convoque aussi les mouches pour nous parler de futilité et de vanité, dans une lignée de productions artistiques bien plus classiques, comme le fait, plus tôt dans le déroulé de l’exposition Artistes & Robots, Human Study#2 la Grande Vanité au corbeau et au renard (2004-2017) de Patrick Tresset, œuvre dans laquelle trois systèmes robotiques produisent des dessins figuratifs.
La grande différence, c’est qu’entre la pièce de Patrick Tresset au rez-de-chaussée du Grand Palais puis celle de Sommerer et Mignonneau un étage au-dessus, la machine a acquis bien plus d’intelligence. Des pièces de Jean Tinguely, Nicolas Schöffer ou Nam June Paik à celles de Ryoji Ikeda, Miguel Chevalier, Stelarc, ORLAN, Takashi Murakami, Catherine Ikam et Louis Fléri, en passant par les robots-peintres à roulettes de Leonel Moura, le parcours de l’expo a en effet un petit quelque chose d’historique sur ce territoire des arts numériques, connectés aux grands chambardements technologiques depuis les années 1960. Il se décline via le parti-pris de trois séquences, avec d’abord « la machine à créer » (l’artiste crée des machines qui « créent » des œuvres), puis « l’œuvre programmée » (le programme ou l’algorithme ont remplacé le robot et peuvent même utiliser le spectateur pour faire vivre l’œuvre) et pour finir « Le robot s’émancipe » - en réalité pas tout à fait encore, mais on pressent que c’est pour demain. Et que les progrès de l’intelligence artificielle ne vont pas tarder à déstabiliser notre appréciation de notre réalité physique, voire psychique, dans l’art comme dans le reste de notre environnement.
L’humain dans un futur robotisé
Un avant-goût en est donné avec l’œuvre Sunspring, datée de 2016 : un court métrage de science-fiction imaginé par Oscar Sharp mais entièrement écrit par une intelligence artificielle, préalablement nourrie de plusieurs scénarios, qui a appris à faire ce travail. Une sorte de deep learning artistique, descendant possible des anciens poèmes créés par ordinateurs (comme ceux d’Alison Knowles), assez absurde, mais tout à fait en phase avec les questionnements du moment sur la « fin du travail » – ou plutôt de la grande masse des emplois qui pourraient contre toute attente être réalisés par des machines : juriste, assureur, journaliste, radiologue, etc.
This hilarious sci-fi film was written by artificial intelligence : la présentation sur YouTube, par le New York Post, du court métrage de 9 minutes Sunspring.
Enfin, une citation de l’auteur de SF William Gibson postée sur l’avant-dernier mur nous convie à poursuivre la réflexion à l’extérieur (et nul doute aussi en nous-mêmes). N’en citer qu’un bout installe déjà le propos : « La Terre est la planète alien d’aujourd’hui. » Quel monstre-monde nous concoctent nos algorithmes ? Quelle vision les artistes nous en offriront-ils demain en partage ? Réponses à venir, peut-être, dans une suite complémentaire à cette exposition, où l’on convierait aussi des créations liées aux mobiles et aux réseaux.
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